Tuesday, October 10, 2006

La Suzuki cahotait sur chaque mètre parcouru, l’air chaud vous fouettait le visage, le soleil souriait à la misère ambiante grouillant sur les trottoirs, la kalachnikov d’Abou, fièrement dressée, semblait saluer les cahutes et les marchands ambulants longeant la route. Et puis il y avait cette odeur. Mmmhmm. Suave odeur sauvage, odeur de l’Afrique. L’amour de ma vie c’était eux, c’était elle. On était fait pour s’entendre. Elle, d’une telle profondeur d’âme, d’une telle cruauté, d’une telle insensibilité. Violée tant de fois, ravagée par tant et tant. Mais elle était toujours là, fière et arrogante comme eux, comme moi. Sincères et durs ils étaient comme un miroir sans concession sans déformation. Tu seras mon frère jusqu’à ce que je te tue.
J’étais ici par choix contrairement à nombre des gens que je côtoyais. J’avais la liberté, pas eux ; entendez par là le choix de pouvoir partir ou rester. J’étais ici pour mettre ma vie en jeu, j’étais ici car j’aime pouvoir faire du mal aux gens qui m’en veulent, chose que je ne puis faire là-bas au loin, sans qu’une tierce personne ou institution s’immisce dans les litiges. Je me suis désigné comme étant un animal individualiste. Le fait de ne pouvoir gérer soit même ses affaires m’horripile profondément . Quelle lâcheté de toujours s’en remettre à autrui. Et puisque la majorité trouverait ce concept " juste " voilà qu’on devrait tous le subir. Je n’ai pas à le contester car c’est le principe de justice. Mais je fais partie de ceux qui ne croient en rien, à une possible justice. Qui mesure le poids de tel ou tel acte, la valeur de ceci de cela. Je ne reconnais pas votre jugement. L’objectivité et la justice. Voilà bien deux concepts assez amusant mais contraignant du monde dans lequel j’ai grandi même si j’avoue que chercher à tendre vers eux peut être bénéfique. Enfin bon. C’est tellement plus dur et mal vue de ne compter que sur soi. Je me demande si ils croient vraiment qu’une tierce personne ou institution peut-être dénué d’émotion, d’intérêt, de valeurs acquises qui rendent un jugement obligatoirement subjectif. Peu importe. Cela ne me concerne plus. C’est leur problème. La plupart de ces personnes de là-bas aiment autant les concepts de liberté que le système d’esclavage par la justice qui les tient. Ici chaque acte engendrera une réaction sincère, brutale. Pas de demi-mesure pour se donner bonne conscience, on accepte de souffrir et de faire souffrir. Tout est passion, haine amoureuse. Voilà ce qui m’amenait ici. L’excitation du danger est extrême. Jouissive. A vrai dire rien ne pourrait la décrire. Mélange de sueur froide et du sang chaud rougeoyant montant aux tempes. J’avais assimilé depuis un certain temps que nous n’étions que des morts en sursis. Acceptant ce fait j’ai décidé que l’approche de ma mort devra être stimulée par une intense activité de la volonté de vivre.
Premier barrage. Des miliciens pas de militaires. On était loin très loin de Kinshasa. Bukavu a été prise par les Maï-Maï en mars dernier. Un assaut de 30 000 miliciens. J’avais rencontré des soldats de la Monuc qui tenaient la ville lors de l’attaque rentrés sur Kinshasa. Ils avaient parlé franchement, sans retenue. J’en avais tiré un texte tout aussi explicite que le récit qui m’avait été raconté mais avec une certaine tendance à l’horreur esthétique.
" C’était l’enfer comme on l’imagine. Un coup de massue dans la colonne vertébrale. A 2H30 du matin la ville a explosé. Des meutes en chasse, des cris déformés par les mâchoires brisées, les bruits de machettes s’actionnant, fendant les crânes et un vacarme assourdissant de rafales incessantes crachant leurs balles mortelles par milliers."

...............

0 Comments:

Post a Comment

<< Home